Urbanisme commercial : Le retour en « forme » des juges du Palais Royal

Ce 22 août 2023, le Conseil d’Etat vient de juger illégale l’autorisation d’exploitation commerciale accordée au plus grand E.LECLERC de Corse pour un motif de forme tenant à la régularité des convocation des membres de la CNAC.

La décision est remarquable en ce que, pour la première fois, le Conseil d’Etat reconnaît l’impossibilité pour les parties de s’assurer du respect par la CNAC de la procédure de convocation de ses membres. La production par l’administration d’une attestation d’envoi dématérialisé des convocation et la copie de ces convocations a été jugée insuffisante.

L’article R752-35 du code de commerce prévoit que au plus tard cinq jours avant la réunion de la CNAC, chacun des membres reçoit l’ordre du jour ainsi que, pour chaque dossier l’avis de la CDAC, le procès-verbal de la réunion de la CDAC, le rapport des services instructeurs départementaux, les recours et le rapport du service instructeur de la CNAC.

Les Cours administratives d’appel, régulièrement saisies de ce moyen le rejetaient systématiquement considérant que « il ressort des pièces du dossier que, le (date) le secrétaire de la Commission nationale d’aménagement commercial a adressé de façon simultanée aux membres de cette commission une convocation pour la réunion du (date), à laquelle était joint l’ordre du jour et où il était mentionné que tous les documents visés à l’article R. 752-35 sont disponibles, au moins cinq jours avant la tenue de la séance, sur la plateforme de téléchargement. La Commission nationale d’aménagement commercial produit également une attestation de la société Dematis, qui exploite le site  » e-convocations.com « , attestant du fait que les convocations ont bien été adressées à leurs destinataires le (date). Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 752-35 du code de commerce doit être écarté comme manquant en fait. » (voir par exemple : CAA Marseille, 26 juin 2023, n°22MA03159 ; CAA Douai, 14 mars 2023, n°21DA00295 ; CAA Lyon, 4 août 2022, n°21LY00330 ; CAA Bordeaux, 30 novembre 2017, n°15BX02630 ; …)

Cette position des Cours était sujette à contestation car rien ne permettait de s’assurer que chacun des membres de la commission avait :

– été effectivement touché par cette convocation

– pu accéder à tous les documents devant être joints aux dossiers qui seraient examinés par la commission le jour dit

En effet, les parties sont dans l’incapacité totale de vérifier la régularité de la procédure menée qui est exclusivement détenue par le secrétariat de la CNAC. Le procès-verbal de la réunion de la CNAC n’est par ailleurs d’aucune aide car la pratique nous a permis d’en constater la rédaction dans des termes tellement succincts qu’il ne rend aucunement compte des remarques formulées par les membres de la commission qui auraient éventuellement signalé avoir rencontré une difficulté lors de la réception des pièces des dossiers.

La haute juridiction, saisie de cette question, vient de juger que seule la CNAC était en mesure d’établir la régularité de la procédure de convocation de ses membres et le respect du délai de mise à disposition des documents prévus par l’article R732-35. Dans ces conditions il ne pouvait être exigé du requérant d’apporter la preuve du non-respect de ces dispositions : il s’agit pour lui d’une preuve impossible, justifiant l’inversion de la charge de la preuve.

Le déséquilibre qui existe naturellement entre l’administration et un requérant en ce qui concerne la preuve est pourtant pris en considération de longue date par le Conseil d’Etat. Il avait en effet eu l’occasion de poser le principe que le juge peut user de son pouvoir d’exiger de l’administration la production de tous documents susceptibles d’établir la conviction du juge et de permettre de vérifier les allégations des requérants. Le moyen étant réputé fondé lorsque l’administration s’abstient de produire lesdits justificatifs. (CE, 28 1954, Barel ; CE, 20 juin 2003, établissements Lebreton, n°232832).

Cette jurisprudence avait déjà trouvé application en matière de fonction publique ou de droit des étrangers. C’est la première fois qu’elle est appliquée en matière d’urbanisme commercial. Nul doute que la CNAC devra prochainement réagir et prévoir de rapporter la preuve de la régularité de la convocation de ses membres.

– Conseil d’Etat , 22 août 2023, n°439718



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