- 4 août 2022
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Dans le cadre de la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, un projet de décret a été soumis à consultation publique jusqu’au 16 août 2022.
Plusieurs dispositions appellent de la part de notre cabinet certaines remarques ou suggestions afin d’assurer la parfaite cohérence et l’efficacité juridique des nouvelles dispositions législatives, sans créer de risques d’instabilité pour les acteurs du secteur ou d’éventuelles incohérences dans leur mise en œuvre, sécurisant ainsi le respect de la finalité portée par cette loi.
1. Article 1 du projet de décret
- Ajout de la présentation des effets du projet en matière d’artificialisation des sols
Nous comprenons que pour tout projet, dès lors qu’il engendre ou non une artificialisation des sols, le pétitionnaire d’une autorisation d’exploitation commerciale devra :
– présenter les effets de son projet sur l’artificialisation des sols
– justifier son insertion dans l’urbanisation environnante
– justifier de sa conformité avec les règles d’urbanisme en vigueur
– justifier de l’absence d’alternative à la consommation d’espace naturel, agricole ou forestier, le cas échéant
- Opposabilité des règles d’urbanisme
Il est prévu que le pétitionnaire doive justifier de la conformité du projet avec les règles d’urbanisme en vigueur. Les règles d’urbanisme applicables au projet sont, outre le SCOT dont l’opposabilité directe à l’autorisation d’exploitation commerciale est claire (L752-6 alinéa 1er), le plan local d’urbanisme et le code de l’urbanisme.
A ce jour, la jurisprudence du juge administratif est claire : l’autorisation d’exploitation commerciale n’est pas accordée au regard des dispositions du PLU ou du code de l’urbanisme. Voir notamment sur ce point :
– CAA Bordeaux, 11 juillet 2019, société Issoudun Distribution, n°17BX03415
– CAA Lyon, 14 janvier 2021, SAS Distribution Casino France, n°20LY00475
– CAA Lyon, 21 mai 2021, SAS Distribution Casino France, n°19LY04623
A notre connaissance, le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur cette question qui dans ces trois affaires portaient sur les surfaces affectées aux stationnements.
Observations : la commission d’aménagement commercial pourra fait application des dispositions du code de l’urbanisme et du plan local d’urbanisme dans son appréciation des critères d’octroi de l’autorisation d’exploitation commerciale. Cela constitue une atteinte au principe de l’indépendance des législations et prend le contre-pied de la position du juge administratif en la matière.
L’article L600-1-4 du code de l’urbanisme limite les moyens pouvant être soulevés par une personne mentionnée à l’article L752-17 du code de commerce dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir. Ces moyens ne peuvent porter que sur le permis en tant qu’il tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale. Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu’il vaut autorisation de construire sont irrecevables dans le cadre d’un tel contentieux. Toutefois si la commission d’aménagement commercial est amenée à contrôler la conformité du projet avec les règles d’urbanisme en vigueur s’agissant de l’artificialisation des sols, cela signifierait qu’un concurrent requérant pourrait s’en prévaloir dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.
Telle est-elle bien la volonté des rédacteurs du Décret ? Il conviendrait d’être plus précis de sorte à ce que l’interprétation du juge administratif ne soit pas différente.
- Le taux de vacance commerciale
La contribution du projet aux besoins du territoire doit être décrite en s’appuyant notamment sur le taux de vacance commerciale.
Les modalités de calcul de ce taux de vacance commerciale ne sont précisées par aucun texte.
Dans la pratique nous avons constaté certains « arrangements » afin de minimiser le taux calculé. Ainsi, certains pétitionnaires ont développé les notions de « vacance brute » et de « vacance nette ». La première est obtenue en rapportant le nombre de locaux vacants totaux au nombre d’emplacements commerciaux totaux. La seconde est quant à elle obtenue en rapportant le nombre de locaux vacants pour lesquels figurent une mention à vendre, à louer ou en travaux au nombre total d’emplacements commerciaux totaux. Elle aboutit à écarter du calcul les locaux pour lesquels aucune information n’est affichée. La circonstance que le propriétaire ne souhaite pas ou plus proposer les lieux à la commercialisation, sans reconversion des lieux pour une activité autre (logement, bureau …) ne saurait justifier d’écarter le local concerné du calcul.
Selon le mode de calcul retenu par le pétitionnaire, l’appréciation qui sera faite quant à l’impact du projet sur le territoire et la pertinence de son implantation sera différente. Il conviendrait d’harmoniser la méthode de calcul retenue.
Il n’est pas contestable que l’animation d’un centre-ville se fait par l’activité qui s’y développe et l’attractivité qu’il génère sur la population : plus il y a d’activité commerciale attirant une clientèle, plus l’intérêt pour y implanter une nouvelle activité sera fort. Il s’agit d’un cercle vertueux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains élus cherchent à chasser les « dark stores » du centre de leur commune car ne générant pas de flux de clientèle sur place, ils contribuent à la désertion du centre-ville.
Ainsi il nous paraît plus pertinent de retenir une définition du calcul de la vacance commerciale ne faisant pas de distinction quant aux motifs de cette vacance, ni à l’activité qui y avait été exercée par le passé.
En revanche, il ne nous semble pas pertinent de retenir la surface des locaux vacants car cette information est difficile, voire impossible à obtenir. En revanche le nombre de locaux vacants paraît plus aisé à déterminer. Il ne paraît pas davantage pertinent d’écarter du décompte des locaux nécessitant de menus travaux d’accessibilité ou ceux pour lesquels le propriétaire ne manifeste pas son souhait de proposer les lieux à la commercialisation (Ce choix pouvant s’expliquer par la faible rentabilité commerciale du fait de la perte d’attractivité du centre-ville concerné, c’est-à-dire par la vacance commerciale existante dans le voisinage. Nous nous trouvons ici dans un cercle vicieux)
Nous proposons ci-après une définition du calcul de la vacance commerciale qui pourrait être insérée au décret :
« Au sens des dispositions du titre V du Livre VII de la partie réglementaire du code de commerce la vacance commerciale résulte du recensement du nombre de locaux vides isolés ou situés en pied d’immeuble et disposant d’une vitrine, rapporté au nombre total des cellules commerciales en activité. »
- La compensation des atteintes occasionnées par la réalisation du projet
Il est prévu d’ajouter un 4° au II de l’article R752-6 du code de commerce, dont le c) prévoit notamment la justification que les mesures présentées au projet permettront de compenser les atteintes occasionnées par la réalisation du projet.
Le respect de la proximité fonctionnelle et de l’équivalence écologique est mis en avant.
Observation 1 : Si la notion d’ « équivalence écologique » se retrouve en droit de l’environnement, notamment dans la séquence « Eviter-Réduire-Compenser », la notion de « proximité fonctionnelle » n’est pas définie en droit. De ce fait, une certaine marge d’appréciation existe et il en résulte une insécurité juridique.
Proposition 1 : Il conviendrait de corriger cette insécurité juridique en précisant l’échelle de la proximité retenue : Jusqu’à quelle distance du terrain d’assiette la mesure de compensation peut elle être mise en œuvre ? terrain d’assiette du projet ? Commune d’implantation ? EPCI dont relève la commune d’implantation ?
Observation 2 : L’avant dernier alinéa de l’article 1 du projet de décret précise que « les mesures de compensation sont mises en œuvre en priorité au sein des zones de renaturation préférentielles … ». Cela semble indiquer qu’en cas de possibilité de compensation sur le terrain d’assiette du projet cette option ne sera pas favorisée lorsqu’une zone de renaturation préférentielle existe. Une telle rédaction pourrait constituer une contrainte juridique supplémentaire pour le pétitionnaire qui devra contracter avec le propriétaire d’un terrain situé en zone de renaturation préférentielle pour y réaliser la mesure de compensation.
Proposition 2 : Ces contraintes seraient moins fortes si la compensation pouvait s’effectuer de façon prioritaire sur le terrain d’assiette. La rédaction que nous vous proposons pourrait être :
« Les mesures de compensation sont mise en œuvre par ordre de priorité sur le terrain d’assiette du projet puis au sein des zones de renaturation préférentielles lorsque de telles zones sont identifiées … »
2. Article 3 du projet de décret : procédure de dérogation pour les projets entre 3.000 et 10.000 m² de surface de vente
Le nouvel article R752-10-2 du code de commerce prévoit la transmission du dossier de demande au préfet pour avis conforme « dès que le dossier de demande est enregistré ».
Observation : Il n’est pas prévu de délai dans lequel le préfet doit rendre son avis conforme. En application des principes du droit administratif (article L231-1 du CRPA), un avis doit nécessairement naître à l’issue d’un délai de deux mois.
En application de l’article L231-4 du CRPA, s’agissant d’une décision individuelle qui s’inscrit dans une procédure prévue par la loi Climat, le silence gardé par le préfet durant deux mois à compter de la transmission de la demande vaut décision d’acceptation. La dérogation sera donc accordée.
Proposition 1 : Afin de permettre au pétitionnaire de connaître le délai dans lequel l’avis conforme tacite du préfet pourra naître, il pourrait être précisé que :
– soit le délai de deux mois court à compter de la réception de la demande de dérogation par le préfet et alors il conviendrait de prévoir une modalité d’information du pétitionnaire de la date de réception de la demande de dérogation par le préfet ;
– soit le délai de deux mois court à compter du dépôt de la demande de dérogation en mairie (si un permis de construire est nécessaire) ou au secrétariat de la CDAC (si aucun permis de construire n’est nécessaire) et alors il n’est pas nécessaire de prévoir une information spécifique du pétitionnaire. Toutefois dans ce cas il serait nécessaire de préciser au décret que le délai d’instruction de la demande de dérogation court à compter du dépôt de la demande.
Proposition 2 : Le délai d’instruction des demandes d’autorisation d’exploitation commerciale par la commission départementale d’aménagement commercial est de deux mois à compter de sa saisine (article L752-14 du code de commerce).
Or, le délai dans lequel l’avis conforme relatif à la dérogation doit naître est également de deux mois (article L231-1 du CRPA).
En conséquence, ces délais ne semblent pas compatibles avec la transmission de l’avis conforme 5 jours avant la tenue de la réunion de la CDAC puisque la CDAC serait parfois amenée à se réunir avant que l’avis conforme du préfet ne soit émis, ou à tout le moins né s’il est tacite.
A défaut d’avis conforme, l’avis de la CDAC et le permis de construire devant en découler seront entaché d’une irrégularité insusceptible d’être couverte compte tenu du caractère dérogatoire de l’avis conforme du préfet et de son importance au regard des objectifs de la loi Climat.
A notre sens il conviendrait de revoir les délais sur ce point.
Proposition 3 : Il n’est pas évoqué l’hypothèse d’une contestation du refus de dérogation par le pétitionnaire.
En cas d’avis défavorable de la CDAC l’article L752-17 du code de commerce prévoit que le demandeur peut saisir la CNAC.
Si le préfet rend un avis défavorable à la dérogation, l’avis de la CDAC sera défavorable sans même examiner le fond du projet.
Dans un tel cas, le pétitionnaire aura la possibilité de saisir la CNAC, mais celle-ci dispose-t-elle de la compétence pour se substituer à l’avis conforme de l’autorité préfectorale ? Il semble que cela ne soit pas le cas, la loi n’aurait alors pas donné compétence au préfet pour accorder ou non la dérogation. Il y a donc ici une difficulté contentieuse majeure qu’il conviendrait de rectifier.
Par analogie avec l’avis de l’Architecte des bâtiments de France en matière de permis de construire, seul le pétitionnaire en cas d’avis défavorable peut faire un recours administratif préalable obligatoire auprès du préfet de région après notification du refus de permis de construire. Pour les tiers, l’avis de l’ABF est contesté dans le cadre du recours contre le permis de construire comme tout acte préparatoire.
En matière d’autorisation d’exploitation commerciale :
* En cas d’avis conforme défavorable du préfet, le pétitionnaire devrait pouvoir exercer un recours administratif préalable obligatoire auprès du Ministre :
– l’avis favorable du ministre permettra à la CDAC de se prononcer, le délai d’instruction de la demande devant la CDAC devrait alors se trouver suspendu. La mécanique que nous connaissons aujourd’hui pouvant ensuite reprendre : recours en CNAC voire recours contentieux devant la Cour administrative d’appel contre le permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale. La contestation de l’avis conforme du ministre ne pouvant avoir lieu que devant les juges, la CNAC n’étant pas compétente pour en connaître ;
– l’avis défavorable du ministre entrainerait nécessairement un avis défavorable de la CDAC. Dans ce cas, il ne semble pas pertinent que le pétitionnaire ait à exercer un RAPO auprès de la CNAC cette dernière n’étant pas compétente pour apprécier la dérogation demandée. Dès lors il semble nécessaire de prévoir une exception au recours administratif préalable obligatoire dans le cas où l’avis conforme du ministre est défavorable. La saisine directe de la Cour administrative d’appel pourra avoir lieu évitant d’encombrer inutilement l’administration.
* En cas d’avis conforme favorable du préfet, la CDAC pourra se prononcer comme elle le fait aujourd’hui, les tiers n’étant pas recevables à contester cet avis conforme du préfet y compris par la voie d’un RAPO auprès du ministre :
– l’avis défavorable de la CDAC sera porté par le pétitionnaire devant la CNAC au titre du recours administratif préalable obligatoire ;
– l’avis favorable de la CDAC sera porté par les tiers devant la CNAC au titre du recours administratif préalable obligatoire. La CNAC ne sera saisie que de l’autorisation d’exploitation commerciale et l’avis conforme du Préfet devra être contesté dans le cadre du recours contre le permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale.
3. Autres propositions qui pourraient être ajoutées au projet de décret
- Nouvelle formalité de notification du PC AEC aux requérants devant la CNAC
Observation : Les requérants recevables à agir contre une autorisation d’exploitation commerciale sont parfois situés à plusieurs dizaines de kilomètres du terrain d’assiette du projet. Ils n’ont pas vocation à circuler régulièrement le long du terrain d’assiette du projet auquel ils sont opposés.
La contestation de l’avis de la CNAC ne peut avoir lieu qu’au travers de la contestation du permis de construire en ce qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale.
Ainsi, la surveillance de la délivrance du permis de construire est rendue difficile.
C’est dans cet esprit qu’une jurisprudence ancienne et constante du Conseil d’État fait obligation en cas de délivrance d’un nouveau permis de construire à un pétitionnaire, alors qu’une instance juridictionnelle est en cours du fait de la demande d’annulation formée à l’encontre du permis de construire initial par un tiers, de notifier le nouveau permis de construire à ce dernier (CE, 23 mars 1973, Compagnie d’assurance de l’Union , n°80513 ; CE, 28 juill. 1995, Commune de Saint-Maur-des-Fossés, n°122000).
Proposition : Dès lors qu’un opposant au projet s’est manifesté en commission nationale d’aménagement commercial, il pourrait être prévu d’imposer au pétitionnaire une formalité de notification obligatoire de l’arrêté portant permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale au requérant à défaut de quoi le délai de recours ne serait pas purgé à son égard.
L’article R752-39 du code de commerce pourrait être complété comme suit d’un dernier alinéa :
« Lorsque l’avis de la commission nationale d’aménagement commercial est rendu dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis de construire, le délai de recours contre cette décision ne commence à courir à l’encontre du ou des opposants au projet ayant exercé un recours administratif préalable obligatoire, qu’à compter de la notification, qui leur aura été faite par le pétitionnaire, de l’arrêté portant permis de construire relatif à ce projet.
- Limitation dans le temps de la procédure de l’article L752-21 du code de commerce
L’article L752-21 du code de commerce offre la possibilité au pétitionnaire dont le projet a été rejeté pour un motif de fond par la Commission nationale d’aménagement commercial de déposer directement devant elle une nouvelle demande dès lors qu’ont été prises en compte les motivations de la décision ou de l’avis de la commission nationale.
Observation : Cette procédure n’est pas encadrée dans le temps si bien qu’un pétitionnaire pourrait décider de se présenter à nouveau devant la CNAC plusieurs années après avoir essuyé un premier refus, rendant délicate l’application des critères sur lesquels la commission avait pu se prononcer initialement.
Proposition : L’utilisation de cette procédure pourrait être encadrée dans le temps.
- Modalités d’application de la dérogation pour les projets entre 1.000 et 3.000 m² de surface de vente
Observation : Le projet de décret n’évoque pas les modalités d’octroi de la dérogation pour les projets entre 1.000 et 3.000 m² de surface de vente.
Proposition : Il conviendrait de prévoir une mention expresse dans l’avis ou la décision prise sur la dérogation des motifs retenus de sorte à éclairer le cas échéant la commission nationale d’aménagement commerciale qui serait amenée à se prononcer également sur cette question.
- La procédure de consultation de la CDAC pour avis (article L752-4 Code de Commerce)
Compte tenu de l’extension du champ d’application de cette procédure de consultation pour avis et des difficultés pratiques de mise en œuvre, il nous apparait opportun de modifier l’article R752-22 du code de commerce.
En effet, le délai d’un mois dans lequel le Conseil municipal doit se prononcer à compter de la demande de permis de construire est trop court au regard des délais habituels de convocation et de la fréquence des réunions des conseils municipaux. Il conviendrait de porter ce délai à 2 mois.